L'ornementation du tulle
Le tulle
Nous parlons ici du tulle fait à la main déjà connu au XVIIème siècle, à ne pas confondre avec le tulle mécanique, tissé sur métier en Angleterre à la même époque et principalement destiné à la confection de bas.
La ville de Tulle (Corrèze) a donné son nom au tulle à mailles hexagonales appelé réseau droschel ou drochel (ce nom viendrait du flamand draadsel signifiant filet). Le réseau de tulle entièrement fait à la main était réalisé par bandes de 8 à 18 cm de large sur 110 cm de long, qu’on réunissait par un point de raccroc longtemps connu des seules dentellières de Bruxelles et d’Alençon (on peut en voir un exemple plus loin).
Diverses techniques ont été mises en oeuvre pour agrémenter le tulle, que ce dernier ait été fait à la main ou mécaniquement
Réseau droschel à mailles hexagonales (ce nom viendrait du flamand draadsel qui signifie filet)
Timbre émis en 2017
Le tulle brodé à la main
Voyez ce morceau de fichu : le tulle droschel est réalisé par petites bandes, celles-ci sont assemblées par un point de raccroc invisible. On voit très bien par contre les démarcations qui signent les différentes bandes réalisées par plusieurs dentellières avec des grosseurs de fils irrégulières.
Le tulle est ici décoré de petites fleurettes réalisées aux fuseaux et cousues sur l'envers, le bord du fichu est brodé.
Fichu - collection personnelle
Feuille d'éventail en tulle brodé à la main (photographie):
Bordure de voile de mariée de 1920 - Broderie main sur tulle mécanique - (collection personnelle)
Les dentelles d'applications : les dentelles de Bruxelles
Les dentelles de Bruxelles doivent leur renommée à la qualité de leur exécution depuis le XVIème siècle. D’abord réalisées aux fuseaux, elles ont combiné progressivement des motifs d’application réalisés à l’aiguille et aux fuseaux lesquels sont ensuite enserrés dans un réseau fait à la main : les motifs ne sont pas cousus sur le tulle, des fuseaux sont repiqués pour reconstituer le réseau à mailles hexagonales appelé tulle « drochel » alentour des motifs.
Les techniques de production des duchesses et des dentelles d'applications de Bruxelles se distinguent de celles des dentelles à fils continus du fait qu'elles font appel à plusieurs dentellières pour réaliser le même ouvrage qui pourra être livré plus rapidement que s'ilétait réalisé par une seule personne.
Cette production main de prestige permettait de réaliser des ouvrages de grandes dimensions tels que des voiles de mariées et les magnifiques châles si prisés sous le second Empire (on peut en admirer un à la Cité de la Dentelle et de la Mode).
Col en duchesse de Bruxelles (fin XIXème siècle) - on y voit des applications au point de gaze représentant des roses - Collection personnelle
Mouchoir en application de Bruxelles (fin XIXème S) - réseau drochel - collection personnelle
L'application d'Angleterre, pas si Anglaise que ça !
L’invention du tulle mécanique a favorisé à partir des années 1830, la broderie d’application sur une pièce de tulle qui n’est donc pas du tulle drochel. Des dentellières françaises ou belges réalisaient de petits motifs aux fuseaux ou à l’aiguille et les cousaient sur le tulle mécanique, cette méthode présentait l’inconvénient de la fragilité du tulle moins solide que les motifs plus épais; mais plus rapide d’exécution que l’application de Bruxelles, elle fut adoptée en divers lieux à la faveur d’un trafic considérable orchestré outre-manche.
Le tulle garni repartait aussi clandestinement qu’il était venu sous l’appellation «Application d’Angleterre» alors que l’Angleterre n’en a jamais fabriqué mais l’a bien commercialisé. Ce trafic s’éteignit dès la fin du XIXème siècle face à l’avènement des dentelles produites à Calais, essentiellement au regard de la qualité des productions Leavers.
Le succès de ce trafic s'explique par le contexte protectionniste de l'époque, Monsieur Michel CARON nous renseignait sur cet aspect et a rapporté de nombreuses prises des Douanes, parfois rocambolesques dans son ouvrage "Du tulle à la Dentelle –Calais1815/1860", publié sous la direction d’Alain Lottin et Stéphane Curveiller aux éditions Le Téméraire. Nous reprenons (avec leur autorisation) certaines des informations de ce livre ci-dessous.
La politique protectionniste, adoptée par l’État depuis le Premier Empire pour protéger les filatures françaises de la concurrence anglaise, frappait les fils retors anglais de lourdes taxes. Pourtant les retorderies françaises ne savaient pas produire les fils très fins et résistants (qui titraient jusqu’aux N°300Nm) nécessaires au fonctionnement des métiers à tulle; il en résultait à tous les niveaux une ambiguïté certaine vis-à-vis de l’application de la loi que l’on contournait. Le27octobre1828, la Chambre de Commerce et d’Industrie se fit l’écho des demandes des fabricants de tulle pour que fussent prises des mesures facilitant l’importation du coton anglais dont ils avaient besoin et d’autres mesures visant à réprimer la fraude du tulle anglais.
Le tulle mécanique aussi était introduit en fraude pour échapper aux lourdes taxes et pour cause! puisqu’il permettait d’alimenter un important et fructueux marché parallèle lequel faisait aussi vivre une population.
La contrebande
Le tulle passe la frontière sur le dos des chiens, les fils de coton sont enroulés autour de la taille des femmes…en réalité, près d’un million de livres sterling de tulle et de coton sont amenés par bateaux et voitures à Calais, Lille, Douai et Saint-Quentin pour y être estampillés frauduleusement.
Il est de notoriété publique en1843 que les tulles anglais sont très en vogue à Paris où ils se vendent ouvertement dans les magasins. La fraude est donc active avec la complicité de sociétés françaises, parfois aussi avec celle de douaniers.
Le22octobre1842, le paquebot Wellington, reliant Douvres à Boulogne, doit se détourner sur Calais à cause de la tempête, malgré les efforts de son capitaine pour éviter d’entrer dans ce port. La douane découvre du tulle anglais qui aurait dû être débarqué clandestinement à Boulogne pour une valeur de trois mille francs.
En1843, au Havre, le tulle est découvert à l’intérieur de balles de lin. A Calais,la douane saisit six barils de bière dont le double fond contient du tulle. Le garde-champêtre d’Hames-Boucres remarque une charrette qui,toutes les semaines, traverse de nuit la commune; il s’en approche et constate, sous la paille,qu’elle transporte des ballots de tulle. Il informe le maire Jules de Foucault, lequel se renseigne et découvre que le débarquement du tulle se fait dans la baie de Wissant. La charrette disparaît de la circulation dès qu’il en fait état.
Des balles de tulles et de coton sont saisies au Griz-Nez, scellées hermétiquement, enduites de vases et d’algues, elles sont jetées à la mer près des côtes par des bateaux pêcheurs. Échouées, elles peuvent être confondues avec des rochers sauf pour les yeux attentifs et exercés des complices qui viennent les récupérer.
Ci-dessous : mantille en application d'Angleterre - milieu du XIXème siècle: motifs réalisés aux fuseaux, cousus sur un tulle mécanique (collection personnelle). Ce type de dentelles faisait l'objet d'un trafic important : le tulle anglais était introduit frauduleusement en France en raison des fortes taxes sur les fils de coton; des dentellières garnissaient le tulle qui repartait aussi clandestinement qu'il était venu. Les Anglais le commercialisaient et l'exportaient jusque dans les Etats d'Amérique sous cette appellation Application d'Angleterre.
Un autre exemple d'application d'Angleterre beaucoup plus simple :
Le carrickmaccross
Originaire d'Irlande, cette broderie sur tulle mécanique, est produite au couvent des Sœurs de Saint-Louis, installé dans la petite ville qui porte son nom.
Il s'agit d'applications de décors découpés dans de la fine batiste sur un tulle mécanique au moyen d'un point de bourdon ou dans le cas présent d'un point de chaînette qui suit les contours du motif :
Le tulle brodé sur machine
Le tulle brodé mécaniquement s'est beaucoup développé à la fin du XIXème siècle.
Morceau de voile de mariée: broderie se terminant en guipure :
Remarquable broderie mécanique sur tulle tulle mécanique à maille hexagonale (reproduction du tulle main Droschel vu plus haut) :
Les tulles de voilettes
Calais a poursuivi la production de tulle parallèllement à celle de la dentelle à motifs.
A la fin du XIXème Siècle, la voilette est très demandée et la fabrication en fond soie avec motifs en coton s'est considérablement développée. Celle avec des pois troués dits bouclés fait véritablement fureur. La friquette suit assez bien le mouvement (selon Henri Hénon dans son remarquable ouvrage)
Date de dernière mise à jour : 16/08/2024
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